• MES POEMES

     

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    TROP-PLEIN DE SANG

     

    Et de nouveau les grands pluriels dilatèrent le cercle bleu des aventures

    Le grain fin d’aventure glissé dans mes rouages put conter son histoire en toute humilité

     

    Des goélands d’ivresse planent sur les galères Ebahis du miracle emporté sur leurs ailes

    La musique en est au jour de création de l’homme

    Et les îlots d’arpèges où danse le mât d’une clarinette remuent la mémoire enfouie

     

    Ce qui m’use ce sont tous ces pays de mots traversés et la crête invisible d’une future épreuve de glaces

    Ce qui vieillit l’immobile explorateur de cadences c’est le va-et-vient des vents harnachés de missives sur sa face exposée à tous les ruissellements de rayons et de pluies

     

     

    Ma respiration échange avec le monde des kilomètres d’aventures

     

    Et voici mon poème alentissant son regard sur les steppes fauves de la pérennité

     

    D’où part –dis-tu – la sève qui fleurit là-haut les névés ? Jusqu’où se gravent les racines de ta joie ?

     

    C’es vouloir compter des nuages toutes les causes toutes les sources toutes les mers

    Et tous les fours errants des vents d’argile qui les captent

     

    Ma montagne est une acrobatie sans filet sur la stupeur des lacs les doubles de ses cascades

    Mon amour est le plateau du geyser quand la femme sereine du ciel s’y couche nue et s’y endort

     

    Après que le soleil eût repeint d’azur la lèpre de ma cellule ma bouche aux gestes titubants d’un nouveau-venu sur ses deux jambes modula les syllabes du miracle – le nom donné à tout ce qui ne nous appartient pas –

    Et toute ma frénésie d’expression ne fit pas davantage que l’appel rauque de la poulie lorsqu’elle hissa jusqu’à la margelle du puits mes larmes

     

    Mon ami comme il faut que tu m’aimes pour accepter ce viol consenti de mon âme par la paume lente du poème pour t‘effacer devant ces manigances amoureuses avec le verbe pour ne me prendre qu’à la faveur d’une alerte au maquis brûlé des consonnes

     

    Mais ne crains rien pour le timon je ne tire pas à dia notre attelage file droit dans les reliefs qui se présentent et l’effort d’une image ne freine pas notre voyage le vent nous gaine avec l’amour de son métier et moi je me laisse être celle que tu aimes écrivant sous ton œil ami le souvenir encore chaud de la litière calme le confluent souterrain de nos deux rivières après leurs jeux diurnes dans les champs de flammes

     

    Rien ni force ni rage ni patience ne changea d’un iota le nombre calculé de mon attente

    A l’heure dite me vinrent ces mots raisins jetés en cascade de la corbeille et déroulant leurs ambassades jusqu’aux angles de la cuisine

     

    Et l’image passe avec la simplicité des saisons

     

    Je feignis d’ignorer la poésie comme un grand courage auquel on n’est pas prêt jusqu’à ce qu’un loriot joaillerie savante épinglée sur le revers sobre du crépuscule me redonnât le goût d’un luxe à conquérir

     

    Duel de sources qui se captent Pentes enjôleuses du juste et de l’injuste Pic du tournoi ô couronné je t’ai gravi pour assister de haut à la guerre des cimes pour apprendre comment les fleuves s’initient

     

    Je m’essaie au déluge des ères et des nations Aux cycles enroulés des cuscutes évolutives Aux noblesses des pluriels et des mystères syllabiques posés en voile sur les crudités de la genèse

     

    Je m’initie au souffle des fleuves et des yogis Je stratifie l’intelligence du monde de la nue à la radicelle du magma du noyau au vide qui s’enroule

    Je m’exerce à constater l’orbe inaudible des soleils et des abeilles

     

    Je bois à coupe ronde la Géographie Sobre encore hier je m’enivre vite à la seule goutte de cobalt de la Floride Au fumet d’étable du Bosphore Au rubis liquoreux de l’Afrique Au buisson ardent d’Hawaï Aux équilibres nasillards antipodiques de la Chine

     

    J’additionne les suspens et les certitudes Les cristaux et les mammifères Les mareyeurs et les prêtres à l’image des grands mais calculables inachèvements cosmiques Chaque jour le torse barré des trois couleurs unit hier à demain qui promettent d’infléchir le plateau des longues statistiques

     

    Tu ne peux pas te souvenir Le soleil dansait sur les grands quadrillages géodésiques et la perche oscillante des jours et des nuits le balançait entre les pôles Et les dociles projecteurs nouaient avec lui les mêmes boucles périlleuses privant de clarté toute une orbe attentive lui concédant parfois la seule lunule claire d’un reflet

     

    Le poème court vomit et déblatère et ce soir retourne à la saoulerie

     

    Tout progresse avec des retours de vagues et de cigognes avec des pruines des patines des hibernations des fausses morts dans des cercueils nématoïdes

     

    Le poème cache bien son squelette jusqu’à sa mort Le poème me danse autour Le poème à la seconde où l’once de chair brûle qui me séparait de la mort Le poème me coupe le souffle par le seul jeu de

     

    l’inégal

     

    La vie seule a droit de fatras A droit de se tromper d’électrodes jusqu’à la mort La vie peut tout mêler peut tout singer peut tout signer des tables crétacées du silence du cormoran au ventre courbe aux artères volubiles de la machinerie  humaine 

     

    Les canaux qu’on a démuselés d’écluses

    Les sources qu’on a épargnées dans un bas de montagne jusqu’à la gerbe de tumulte et d’éclairs

    Les criques qu’on a soudoyées de bombes

    Et les feux d’artifices lacustres les nuits de festival

    Et les gaz souterrains chuintant dans le silence régulier des dormeurs la mort infusée sans bruit dans leurs poumons

    Et les bouchons cachés des goulots en sillage de mousse

    Le volet claqué du harangueur paranoïaque au-dessus des foules matinales qu’il ne dénombre plus

    Et les fleuves opulents brasseurs de fonds et de reflets

    Où flottent des houillères et des fûts de résine –

    et sur le dos un nageur blond faisant sa sieste

    un caramel noir de feuilles aux commissures de leur sexe

    une vomissure de marne à leur bouche

    et les débardeurs bleu goudron patinés de sel et leurs cirés depuis le train

    hauts-fourneaux sémaphores

    dans la nuit éraillée d’amour et de voirie

    et l’océan qui rue sous l’éperon aigu des brisants et des angles d’épaves

    et le sperme fouisseur jusqu’à l’ombelle fugitive

    et la sève brûlante soufflée tulipe de cristal à l’embout de la sarbacane

    la langue sèche des tourniquets peignant les nougats et les poupées foraines

    et les manèges avec leurs disques contrariés Et les tornades

     

    et la valse lente de fumerolles pensives

     

    Tu ne peux pas te souvenir

     

    Salicorne agrippée comme un poil à  l’aisselle du delta

    Glanure du voyage qui germe après de longs hivers

    Chaque ballon respiré serre un poisson une couleur pour les famines ou cécités futures

     

    La liberté siffle dans l’écho

     

    Insecte arc-bouté et qui retombes

    Tu ne lui pardonnes pas de nicher si haut

     

    La liberté transmet la chasse à ses enfants qui  se passeront d’elle Ces grappes de souvenirs qui me  lestent me sont espoir de monter encore Ces laisses sociales me sont autant d’électrodes qui me lardent

     

    Echeveau des contraintes

    Peloton des logiques

    Et le pointillé des fulgurances

     

    Et l’aïeule devinant mes fourmis impatientes préféra fermer le livre et glisser seule vers les plages douces de la lenteur

     

    Hélène Aribaut

    Encres Vives n° 67 Automne-Hiver 1969

     

     

    Trop-plein de sang. (Poème publié dans ma jeunesse)

     

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  •  Poème très long parce qu'il est une compilation de plusieurs poèmes!

     

     

    MES ARBRES

     

     

     

      L'arbre le plus beau celui

    dont les caprices de branches furent autant d'obstacles rencontrés

    contournés ou franchis

    autant de vents contraires ou de souffrances

    ou la volonté sensuelle de l'arboriste zen

     

     

     

     

    Le poète le plus vrai celui

    que déchire chaque jour

    Et il fait de ses traces sanglantes des hiéroglyphes pour rêver

     

     

    Mon piano est un arbre venu de loin

    qui a poussé longtemps sans savoir que dans ses veines d'acajou

    viendrait chanter la grâce que j'appelle

    Et ma table est un arbre où je viens mettre bas mes petits

    écrire et pleurer, manger et vivre

    rêver sans que les feuilles bougent

    un arbre privé de vent mais vivant, toujours,

    buvant comme une ambroisie le miel renversé par l'enfant,

    accueillant la marée des choses de chaque jour

    stylos, journaux, livres ( des arbres encore)

    verres, tasses, fleurs, et les coudes des amis.

     

     

    L'arbre est partout dans ma maison

    apprivoisé

    branche fleurie se réfractant dans le cristal,

    bambou tressé, planche où l'on dîne, couvert à sauce chargé d'arômes

    et ce saladier rond d'olivier d'Espagne

    où sourd l'huile en lumière dorée.

    Arbre percé de la flûte

    Bateau-guitare

    Faîte de l'arbre dans le ciel

    l'élytre sonore de mon violon

     

     

     

     

     

    Il s'est fait doux et domestique

    mais aux jours de tempête il geint

    répond à sa famille du dehors

    Les grands troncs aux méandres profonds

    les grands fleuves aux affluents mouvants sous la tornade

    les bras levés haut dans l'imploration du ciel sous l'averse

    et la chevelure ployée sous le faix du vent

    les cyprès torses allumant sur la colline des brasiers noirs

    la fourrure dense des pins à flanc de montagne

    les sapinières noires aux fûts de cathédrale

    où l'on pénètre voûté sous le poids des grandes orgues

    dans l'encens capiteux de la résine

    sur le tapis stérile des aiguilles avec

    dans les trouées rougeoyantes du vitrail

    l'exubérance folle et verte des fougères

    et l'exquise fraise petite au goût violent

     

     

    Et dans mon corps aussi je sens la sève pousser

    ses rameaux bleus et rouges

    La vie se ramifie vers la terre et le ciel

    Et parfois

    immobile et debout dans le soleil

    les yeux fermés

    le pouls à l'amble avec la terre

    je me laisse remplir par la source qui monte et j'attends,

    végétale, la volonté mystérieuse de la terre

    sous mes pieds, de mes jambes dans la terre,

    et de tentacules électriques révélés patiemment dans la lenteur de l'extase

    lorsque mon faîte accepte la folie du ciel

    et que mes bras écartés offrent à l'été les fruits de ma poitrine

    le soleil les dore, la pruine les poudre

     

     

    Mon poème est ce printemps aux tiges grêles qui promet déjà

    l'horizon enflammé d'août, et octobre gravide

    et bientôt pourriture

    et plus tard nourriture pour le nouveau printemps

     

     

    Mais je m'endors Je descends dans le rêve

    Mes racines plongent profond chercher l'eau la plus pure

    Par-delà les filtres sableux de la mémoire

     

     

     

    Ma forêt ne s'enorgueillit pas d'essences rares

    Il y règne la presque monotonie de la pinède sèche trouée de garrigues

    les vagues furieuses des branches que le mistral anesthésie de tout parfum

    ou bien, à l'heure moite de la sieste,

    où seule et folle je m'écorche les mains d'une brassée de chardons bleus,

    je promène mon visage à l'exacte croisée des fragrances

    la résine lourde qui tombe sur les rocailles chauffées à blanc

    l'alcool violent du thym qui vole à sa rencontre

    et parfois les hampes grises des lavandes sauvages

    ajoutent leur épice au breuvage de juillet

    Les collines d'hiver

    mes promenades amoureuses

     

     

    Dans les forêts superposées du souvenir

    fresques pâlies de la petite enfance

    s'aligne l'allée de platanes dans la poussière de juin à la sortie de l'école

    les châtons éparpillés

    pompons défaits de soie ocre qui volent dans nos cheveux

    la lèpre du tronc où je clugne

    le placard de maman-confiture

    et les bancs verts qui sentent l'urine et le clochard

    Verdure domestique entre les grilles des jardins

    massifs dessinés, arbres élagués portant au cou leur nom latin

    déployant une ombre amie sur la loueuse de vélos d'enfants

    jetant leurs feuilles sur la bâche verte du manège

    dans le caillebotis des balançoires

    On avait creusé des canaux pour le plaisir des passerelles

    et trois jardins se donnaient la main

    par leurs viaducs de dentelle

    où coulaient des géraniums-lierres

     

     

    Si je veux isoler un arbre

    de sa gangue de terre et de vent

    de l'humus de mes fantasmes il meurt

    Si je veux isoler la terre

    boule folle où tout se passe

    ou poignée fusant entre mes doigts

    il me reste

    le vide entre les comètes ou bien

    la toile serrée de ma paume

    dont la tourbe restée accuse de noir tous les sillons

     

     

    Mon poème court, ombre, devant moi ou me suit

    et ramasse tout ce qu'il rencontre

    parfois s'adosse à un cèdre

    et ferme les yeux pour entendre la mélodie de son odeur

    et quelquefois se couche à même le sol à écouter un pouls

    le sien, celui de la planète, il ne sait

    Plutôt rencontre de deux houles

    confluent, embouchure ou ria indécise

    duo mélange flux et reflux

    Mais toujours appelé plus loin

    ne sait ce qu'il cherche

    il ne s'arrête

    que sur les microcosmes

     

     

     

    Le cerisier se laisse traire

    La branche raide reconnaît la main et s'approche

    Les doigts diligents pincent les feuilles

     

     

    L'échelle vibre avec l'arbre

    Au sommet tu es dans le vent

    la cime végétale parcourue de vie et de sève

    Tu te balances branche parmi les branches

    la tête dans le ciel

     

     

    Au jardin d'Eden poussaient des poémiers

    et d'un seul geste expert

    tu en délivrais des grappes rouges

     

     

    Lien du film (1987) de Frédéric Back : L'homme qui plantait des arbres (sur un texte de Jean Giono dit par Philippe Noiret):

    https://www.youtube.com/watch?v=7Rn6trL3-54

    Poème de l'arbre (inédit)

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  • Oisive mémoire

    Toujours accrochée

    Aux vieilles histoires

    Des choses passées

     

     

    Dis-moi plutôt l'heure

    Des claires demeures

    Qu'un futur espère

    En gouttes émues

     

     

    En verts yeux de verre

    Qu'aucun fil ne mue

    Vers la ronde glace

    Où l'esprit se lasse

     

     

    Inverse les dates

    Gravées sur la tour

    La soeur délicate

    Des tendres amours

     

     

    A compris l'astuce

    Et qui que tu fusses

    T'aimait sans connaître

    Ton nom ni ton âme

     

     

    Quelle est ta fenêtre

    Interdite aux femmes

    Pour qu'un jour j'y ose

    Un bouquet de roses ?

     

     

    Que dit ton oreille

    Des rimes câlines ?

    Et que me conseille

    L'instinct de ta mine ?

     

     

    Laissons mes rimailles

    Et rien ne te vaille !

    Oisive mémoire

    Toujours accrochée

     

     

    Aux vieilles histoires

    Des choses passées

    Dis-moi plutôt l'heure

    Des claires demeures

    Oisive mémoire

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  • Vois : notre bulle ondule

    Palpite…telle un tulle

    Glacé

    Et pâlit, puis se brise,

    Passée.

     

    Mais une autre plus belle,

    Transparente ombelle

    D’air pur,

    S’enfle et s‘envole,

    Subtile parabole

    D’azur.

     

    Ton souffle la fait fuir.

    Hélas, elle va mourir

    Bientôt.

    Mais luit encor son aile ;

    Tous les ors y chancellent

    A séduire Watteau.

     

    Une illusion l’irise,

    Notre désir l’attise

    Une dernière fois

    Pour fondre à mon regard

    Qui a senti trop tard

    Passer l’ultime joie.

     

    La nouvelle est plus ronde

    Et plus lourde, on dirait.

    Suspendue comme un monde

    A quelque dieu distrait,

    Elle titube, lente.

    Tous les angles l’aimantent

    Qu’elle frôle sans voir…

    Ma prière la guide et ne respire plus…

    Mais elle tombe enfin, trop imbue de sa gloire,

    Comme un fruit éclatant et de soleil repus.

     

    Vois sa dansante fille

    Qui se moque déjà

    En cueillant des myrtilles

    Sur le bout de mes doigts.

    Le heurt d’une corolle

    La tuerait comme on joue.

    Mais elle est trop frivole

    Pour penser à tout.

     

    Gronde donc cette folle

    Insoucieuse du sort

    Qui fait la farandole

    Et butine sa mort.

     

    Mais quel courant l’enlève

    A notre inquiétude ?

    La nue soudain se lève

    Et savamment élude

    Ce grelot si ténu.

    Où donc, dis, où es-tu,

    Caprice de lumière,

    Toi que je préférais,

    O toi qui le savais ?

     

     

    Hélène Aribaut

    Toulouse 19 Avril 1965

     

    Si vous aimez, ne le gardez pas pour vous !

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  • Une seule larme

    Dans mon étang

    Et toute la nuit

    La lune s’y voit ridée        

       O

     

    Une allumette brève

    pour ta route de nuit

    Je ne vends pas je te la donne

    Un poème

    O

     

      La tragédie sied à la jeunesse

    Quand jeunesse est passée

    l'humour

    est vêture exquise

    O

    Tu as raison

    grâce est donnée

    selon toi

    par qui ?

    O

    Quand de force

    La chair s’humilie

    L’âme aussi

    Doit se faire douce

    O

    L’éphémère se dit

    Mourir ne m’effraie pas

    j'ai déjà de vieux os

    O

    Ma pauvre herbe est flétrie

    Mais un baiser de Dieu

    Et elle resplendira

    O

    N'éteins pas la lampe

    A quoi bon ?

    Entends cliquer le morse

    Il faut obéir

    O

    La lune est ronde enfin

    sur son étang

    Mais la grenouille

    ne dormira plus

    O

     

    Hélène ARIBAUT

                                                                                                     30 Janvier 2001

     

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  • Les orgues construisaient l'édifice

    de l'éternité en surplis

    les doigts croisés selon le rite

     

     

    Je fixais le brun doré des boiseries liturgiques

    et du pot-au-feu familial

    avec leurs pâles yeux de cire et de graisse

    qui moiraient la lumière

     

     

    Parfois l'homme parlait,

    patriarche, devin, poète,

    et je croyais

    j'étais petite fille

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  • Tout le monde connaît l'histoire du vilain petit canard. On sait quelles furent ses souffrances tant qu'on le crut et qu'il se crut un canard mal fait. On sait aussi à quel point il s'efforçait de vivre comme tous les canards, et même de devenir un joli canard, afin d'obtenir l'amour de chacun. Sa mère disait de lui : " C'est mon enfant aussi." Cet aussi lui perçait le coeur, et il eût préféré qu'elle ne dît rien.

     

     

    Quand il lui fut révélé qu'il n'était pas un canard mais un cygne, l'un de ces beaux oiseaux blancs qu'il avait admirés de loin et enviés, il ne se tint plus de joie et oublia les douleurs passées. Il pardonna de bon coeur à tous ceux qui l'avaient persécuté par ignorance, et crut qu'il allait désormais être heureux.

     

     

    C'est là qu'Andersen s'est arrêté. Comme d'autres histoires s'arrêtent au moment où les gens s'embrassent, où ils s'épousent, où ils ont beaucoup d'enfants. Sur un bon moment, là où l'on est en droit de supposer que tout va aller bien. Tout le monde est content, le lecteur à qui l'on donne l'espoir de bien "finir" sa propre histoire, et qui en supporte mieux les vicissitudes, l'auteur qui s'est fait plaisir, et tous ceux qui ne lisent pas mais à qui les lecteurs transmettent leur optimisme.

     

     

    La vie, elle, ne s'arrête jamais, ni sur un bon ni sur un mauvais moment. Elle continue seulement, aveugle et puissante comme un fleuve.

     

     

    Le vilain petit canard fut emporté par elle. Il fut donc cygne, un cygne très ordinaire, aussi beau que tous les cygnes, sauvages surtout. Il respira à sa mesure, s'éprit de liberté et de grands espaces, mena la vie normale de son espèce. Mais, de même qu'il n'avait pas été un canard comme les autres, il ne fut pas non plus un cygne tout à fait semblable aux autres cygnes. Ceux-ci ne s'interrogeaient jamais sur eux-mêmes, sur leur beauté, leur liberté, la force prodigieuse de leurs ailes qui pouvaient les emporter si haut, si loin. Ils ne ressentaient nul privilège et jugeaient que leur belle vie leur était due. Notre cygne au contraire, qui se souvenait d'avoir été canard, parce qu'il avait durant son enfance été traité comme tel, goûtait avidement chacun des plaisirs qui lui étaient donnés, en rendait grâce, s'extasiait. Et puis, il lui était resté de sa petite enfance une sensibilité très vive, accrue encore par les mauvais traitements, et sous les plumes éclatantes de blancheur, sous les ailes puissantes qui l'enlevaient, grelottait une âme malingre et souffreteuse, craintive toujours, comme si son bonheur était usurpé et pouvait sans préavis lui être ôté. Ce n'était pas pourtant un bonheur bien scandaleux, il n'était pas un bien grand cygne, et il avait bien mérité un peu de calme et de réjouissance. Mais il avait une mémoire précise et une conscience exigeante. Il se rappelait ses frères qui barbotaient toujours dans le vivier au fond du jardin, qui enfonçaient leurs palmes dans les crottes de la basse-cour et se querellaient pour une tête d'anguille. Il avait oublié leur méchanceté à son égard. Il pensait à sa mère qui avait eu pour lui des élans d'affection car il nageait bien.

     

     

    Il lui prit l'envie de les revoir. Il pensait, en sa naïveté, que sa mère serait fière de le voir devenu si beau, si grand. Elle l'avait couvé, élevé, c'était sa mère. Il entreprit un long voyage à sa recherche. En chemin, il rencontra des cygnes domestiques qui mendiaient des croûtons dans les canaux mal tenus d'un jardin public, et apprit que le sort des cygnes n'est pas nécessairement enviable. Il fut tenté de partager leur vie, par humilité et compassion, en souvenir de ses frères canards. Mais le goût de l'espace l'emporta et il reprit son vol.

     

     

    Il finit par retrouver sa famille. Comme l'enfant prodigue, qu'il n'était pas, il s'imaginait de chaudes retrouvailles, sa mère attendrie et fière, ses frères et sœurs plus sages et mieux intentionnés. Mais quand, passée la première frayeur de ce grand oiseau s'abattant au milieu de la basse-cour, les canards surent à qui ils avaient affaire, ils ne firent qu'envelopper d'hypocrisie leur sotte envie et leur rancune. Sa mère lui fit beaucoup de compliments et le montra partout. Il raconta ses voyages, décrivit des pays, des moeurs. On ne lui pardonna point d'être si intéressant. Il croyait vivre là, du moins quelques temps, mais on lui fit comprendre qu'il n'avait pas sa place, qu'il ne l'avait jamais eue, d'ailleurs. Sa mère elle-même se mit à lui décocher de ces petites flèches qui ne blessent pas ouvertement et dont on ne peut faire état. Elle lui vantait les mérites de toutes ses couvées de canards et, quoi qu'il fît ou dît, ne fît pas ou ne dît pas, il eut toujours tort.

     

     

    Il s'en alla, aussi tristement que la première fois. Il connut de nouveau l'ivresse de l'altitude, la volupté de s'appuyer sur la toile du vent, de glisser dans les airs en embrassant des plaines et des montagnes, de mirer le soleil sur son plumage blanc, et bien d'autres joies encore que les cygnes sont seuls à connaître. Mais toujours, toujours lui resta cette tristesse, cette amertume, cette souffrance d'enfance dont on ne peut guérir.

     

    Quand il mourut, il chanta comme on dit que chantent les cygnes. Ceux qui l'entendirent frissonnèrent. Ils se demandaient où cet oiseau qu'ils supposaient heureux avait bien pu puiser cette science de la douleur. Ils ignoraient que tous les cygnes ont d'abord pataugé dans la mare aux canards, qu'ils ont désiré ardemment s'élever dans les nues et que, lorsqu'ils ont réussi à s'alléger enfin pour s'envoler, ils se sentent bien seuls et n'ont de cesse qu'ils n'aient fait venir auprès d'eux toutes les canes, tous les canards et canetons d'autrefois, tous les vilains petits cygnes qui eux aussi crient leur solitude et leur soif de paradis.

     

    Hélène Aribaut

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  • La musique s’infiltre en toi comme un poison en redessinant toutes tes arborescences. Elle se met à t’habiter toute et se loge à l’aise en étirant tes parois.

    Tu n’as plus qu’à t’en aller à la recherche d’une autre maison.

    Mais il est déjà trop tard, il n’y a plus d’issue – tu es prisonnière – que dans l’encens qui monte de la cheminée, mais c’est un bras que la musique allonge pour saisir les nuages, et le bras reste attaché au corps qui t’a dévorée. Tu demeures, nulle et entière, dans les viscères chauds de la musique, tu te laisses rouler dans des sécrétions délicieuses que tu ne comprends pas.

    Si tu risques un œil à un orifice, tu n’aperçois qu’un monde ennuyeux et importun que tu annihiles d’un tour de clef avant de te retourner vers les chœurs ivres du dedans, et te tenir au bord de l’entonnoir tourbillonnant qui va t’aspirer, t’avaler, te dissoudre dans la musique, la bienheureuse folie

    « …ertrinken,

    versinken –

    unbewusst –

    höchste Lust » ! *

     

    Hélène Aribaut

    Bonnieux, La Colombine, 24 Novembre 198O

     

    * «  …se perdre, s’éteindre – sans pensée – pure joie ! »

    Derniers mots d’Isolde dans Tristan de R. Wagner.

     

    O

    La nuit tombe brusquement en même temps que la fatigue te jette sur ton lit, mais le vice du dire va l’emporter encore sur le sommeil, et tu allumes ta lampe qui est dehors une veilleuse sous un voile au milieu des champs de novembre. Et tandis que l’homme qui, là-bas, vient de faire taire son tracteur à la fin des heures de labour, s’imagine que tu reposes, paresseuse, en ta maison, tu comptes dans tes os ton travail et ton usure, toutes les douleurs avivées par l’effort sur ton clavier, par ton ascèse musicale, et encore après par la volonté d’extirper de toi la parole qui t’étrangle, de délivrer un peu de ce dire compressé qui te fait mal, de griffer le papier de ces mots indigents, face à l’opulente foule qui voudrait se faire jour et rompre tes barrages. Fatigue, fatigue, après ce que j’ai entrevu, je ne puis croire que tu sois autre chose qu’un provisoire empêchement, l’atermoiement cruel du donneur de cadeau qui n’en finit pas de froisser le papier, de dénouer les rubans d’un présent fabuleux.

     La vraie santé n’est pas d’ici, je m’impatiente de l’attendre. Chaque moment de force et de gloire est suivi de rechute. Le poète s’alite et le musicien, pour le moment, ne s’émerveille que de balbutiements. La joie se consomme elle-même et balaie toute tentative de se chanter, de s’enfermer dans un livre qu’on garde. A l’excès de la joie répond le mutisme et le désir de fermer les yeux pour la rêver, la mort, rêve choisi qui ne prend jamais fin…

    Hélène Aribaut

    Bonnieux, la Colombine, 24 nov.

    publié dans ENCRES VIVES n° 97

    Août-sept. Oct. 1981

    O

     Trop tard, trop tard la musique lui déclara son amour et se mit à la visiter, à lui manger ses heures. Elle s’éveillait fatiguée, triste parfois, mais la mémoire de la musique soudain s’éveillait en elle à son tour, se dressait sur son séant, joyeuse d’une journée qui s’ouvrait. La veille était née une nouvelle fois une Bagatelle de Beethoven, et on allait courir se pencher sur le clavier, sur son berceau. Les doigts impatients titubaient un peu sous l’ivresse qu’ils allumaient eux-mêmes. Les ballerines s'ébrouaient dans un gai désordre, l’orchestre s’accordait et tout à coup le soleil se levait au-dessus du piano béant et derrière le rideau, là derrière où tremble une primevère en pot, rose, tendre, à la merci d’une soif trop longue. Et la musique souveraine balayait tout de sa traîne lente, et je n’étais que langue de sable vernie d’eau qui se laisse lécher et emplir par la mer. Et le délire s’emparait de mes mains, de ma tête et de mon corps qui dansait, tout le buste appuyé sur le pouce qui gronde et insiste, douloureux, tout le bras soulevant l’auriculaire afin qu’il ne pèse pas plus qu’une étamine, et ma tête qui tourne de l’alcool mêlé des mélodies. Et la fièvre me gagne. Mes mains sont chaudes à présent et déferlent. Une marée monte des noirs registres, s’égoutte un moment dans un medium oscillant et grimpe là-haut en courant dans les flaques de soleil d’où elle se jette en rideaux de perles.

    Je m’en vais porter mes pas dans des contrées étranges. Chaque accord de lumière est si beau que je suspends ma jambe, je suspends mon souffle, les cils pris dans un fil de la vierge tendu sur mon chemin. Les parfums montent en même temps que le soleil et vous chavirent.

    A la fin je m’abattrai avec le crépuscule, épuisée, tremblante et sans force pour faire parler d’autres voix. Les mots infirmes tentent de grotesques envols. L’aigle facile coule son ventre sur l’altitude, et je vois devantmoi la musique reculer toujours plus haut sa cime éblouie.

    Hélène Aribaut

    Bonnieux, la Colombine, 24 nov. 198O

    Publié dans ENCRES VIVES n° 97

    Août-sept. Oct. 1981

    O

    Une maladie dont on ne veut pas guérir, la musique comme l’amour te parle de forces vives plus colorées que la santé. Tout ce qui pousse dru en ce monde, tout ce qui jaillit, éclate et brûle, tout l’allant des hommes et tout ce qui va vite ressemble à la chétive racine qui pousse en rampant sa face livide vers le soupirail, à côté de ces voix venues d’un enviable ailleurs, à côté des couleurs refusées aux peintres, l’insoutenable blanc fait de la giration de toutes les couleurs, la vitesse si grande que nos yeux douloureux ne regardent que l’immobile lac à goût d’éternité. La toupie à peine se déhanche pour qu’on la voie tourner, fond les couleurs peintes sur ses flancs en un lasso de lumière. Et la musique te cingle avec une violence que tu n’oublieras pas ; tu voudras encore souffrir de ce mal-là, tu regretteras cette sensation d’impuissance et de faiblesse extrême comme si, avec tout ton corps pesant, affamé, maladif, toute ta chair palpable, tu te retrouvais cheveu dans la paume d’une main que tu ne perçois pas, délestée de toi-même, souffle, pur esprit, inconsistante voix se mêlant à l’orchestre du monde, piccolo dérisoire et ténu autour de qui pourtant se taisent de temps en temps les cordes et les cuivres.

    Hélène Aribaut

    Bonnieux, La Colombine, 24 Nov. 1980

     

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  • EPITAPHE POUR SAINTE-VICTOIRE

     

     

    Montagne mon amie ma complice

    où j'ai guetté le miracle de chaque matin

    Depuis sept ans tu es mon horizon

    Allumée de rose tu m'invitais à vivre

    Je t'ai vue poudrée de mauve dans la brume

    Une écharpe de cygne au cou

    Incendiée d'amour au couchant

    Tragique sous l'orage

    Etincelante sous la neige

    Disparue dans l'averse

    Tes rochers présentaient leurs faces à la lumière

    et faisaient bouger tes reliefs

    La couleur des forêts débordait de ses lignes

    et tu t'ombrais comme une femme

     

     

    Une joie m'est arrivée

    Tu souriais à mon bonheur

    Tu l'accueillais parfois dans la bénédiction

    de tes parfums

    Puis un malheur m'advint

    Et tu dressais toujours ton vaisseau pour me dire :

    "Vois comme je suis belle et comme je dure !

    Ne te soucie donc pas d'un nuage qui passe"

     

     

    Je me suis mise à attendre

    Tu étais devenue un autel pour mes prières

    Je te volais des portraits avec mon appareil et mes pinceaux

    En aurore et en pluie, en bleu, en vert, en ocre rose,

    en lie-de-vin, en noir et blanc,

    en vapeur blanche et en esprit,

    grande dame en toutes toilettes

    le symbole de l'immuable

    dans le mouvement des saisons

    dans les caprices de lumière

     

     

    JE T'AI VUE NUE, DANS LE MISTRAL,

    FENDRE L'AZUR COMME UN COUTEAU

     

     

    Ils t'ont brûlée

    ILS T'ONT MISE AU BUCHER

    COMME JADIS LES SORCIERES

     

     

    Ils t'ont brûlée

    Et te voici, sépia et noir,

    endeuillée de toi-même

    Nous contemplons le désastre

    de ta pâleur mortelle

    de tes bois calcinés

    Nous respirons l'âcre odeur de la mort

    Nous retenons notre souffle comme

    sur un champ de bataille

    après que les derniers râles se soient tus

    accablés par un sentiment d'irrémédiable

     

     

    Il est venu pour toi, le temps de peine

    Tu pleures tes arbres, moi mes amours

     

     

    Pourtant, rocher, tu demeures

    et te dresses contre le vent

    Et je te regarde toujours

    Et l'espoir ne veut pas mourir

    Sous tes cendres bat le coeur

    de la vie obstinée

     

     

    Ils n'ont pu t'avilir

    Ils ont coupé ta chevelure

    Ils t'ont dépouillée de tes vêtements

    Ils t'ont saccagée

    Mais ils ne peuvent rien contre ton âme

    Ils passeront

    Et toi

    TU REFLEURIRAS

    Ton souffle

    dans tes arbres, dans tes parfums,

    dans le bruissement des insectes

    caressera nos visages

     

     

    Nous te gravirons encore en nous tenant par la main

    Et dans la gloire du sommet

    nous regarderons

     

     

    DE L'AUTRE COTE

     

     

                                                              Hélène Aribaut

                                                             Fuveau, le 13 Septembre 1989.

                                                             Publié dans Créart, la même année.

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  • Epitaphe pour un bon larron

     

    Toi qui toujours marchais de garrigue en ramures,

    Toi qu’on n’attachait pas longtemps entre des murs,

    Qui sellais ta moto, lavé de matin pur,

    Ton ancien corps est là, sous cette lourde pierre.

    Sans yeux pour tes amis, sans ouïr leur prière.

    Avec les autres morts sous le béton obscur.

     

     

     

    Mais ton âme est ailleurs, bien vivante et légère

    En haut d’une colline, entre thym et bruyère.

    De ta pipe elle monte, ainsi qu’une fumée

    Qui vient, qui va, repart du ciel ou de la terre,

    S’enroule autour d’un mont, demeure, hospitalière,

    Complote une visite auprès de gens aimés.

     

     

     

    Et dans leur cœur ils voient ta haute silhouette,

    Tes doigts sur ta guitare emplumée de poète

    Et de peintre de Chine, à l’encre et en points noirs.

    Ils entendent ta voix sonore, et ton rire,

    Ton prélude au piano, la rivière où tu mires

    Tes messages d’amour, la rage d’un espoir.

     

     

     

    Tu es parti bien tôt pour la mort buissonnière,

    Comme le fit Brassens il y a vingt ans : naguère !

    Mon prince, souviens-toi de ta dame, jadis.

    Aujourd’hui elle est là, qui ne rit ni ne pleure,

    Laisse son cœur ouvert chaque jour, à toute heure,

    Ecoutant le hautbois et le De profundis.

     

     

     

    Priant le Seigneur pour ton âme mécréante,

    Mais si remplie d’amour, d’humour, et pas méchante,

    Plaidant de ta bonté, de la guerre et du feu.

    Et Lui énumérant tous tes actes fidèles

    Afin qu’Il ait pitié, et te donne des ailes,

    T’accueille en Sa maison et t’ouvre tous Ses lieux :

     

     

    Des bois de châtaigniers, des jardins, la musique,

    Des chemins dans le temps, les langues archaïques,

    Des villes rose et or, de toulousains couchants,

    Des soleils africains, des tables provençales,

    Des Paris oubliés, navires et escales,

    Des gares d’Italie, des France d’artisans.

     

     

     

    Et puis une oasis, une cruche d’eau claire,

    Un désert somptueux, une borie de pierres,

    Là où tu lui fixas son lointain rendez-vous.

    Te rende enfin un corps que l’amour transfigure.

    L’oiseau de ce matin en a été l’augure.

    Elle Lui dit : « Mon Dieu, je me mets à genoux. »

     

     

     

    Elle Lui dit : « Mon Dieu, ressuscitez cet homme.

    Sa belle voix saura Vous composer des psaumes.

    Il ne fut à personne. Il est déjà à Vous. »

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  • Esprit, si tu pouvais me porter assez haut

    Vers ta montagne ensoleillée, aride et sainte,

    Et faire éclore là mon poème, ma plainte

    Maîtrisée en quatrains et tercets assez beaux

     

     

    En pétales ardents et fiers, d’un bleu nouveau,

    Pour me faire oublier l’amère vie éteinte,

    La douleur cramponnée toujours, ma force feinte,

    Mon sourire le jour, et la nuit mon sanglot

     

     

    Si je pouvais passer l’automne pourrissant

    En une seule nuit, un songe si puissant

    Qu’il me déposerait soudain à ma fenêtre,

     

     

    Un matin de printemps où je pourrais renaître

    Jeune et renouvelée, dans un exquis bien-être,

    Dans la grâce étonnée au milieu des encens !

     

     

    Hélène Aribaut

    Fuveau, 28 Novembre 2002

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  • Le bédouin

    Par défi, par résignation, allonge les étapes sans boire.

    Ses bêtes sont efflanquées,

    Toutes en pattes et en arrogance.

    Lui-même est sec, fait d’ombres verticales,

    Un pli orgueilleux à la lèvre.

    Son turban poussiéreux montre encore

    Quelques fils d’or éteint dans son tissage.

     

    Voici une oasis

    La rare concession d’un rêve

    Où il se passe peu mais fort

    Il se contente d’allonger la main

    Sur le caillou rond d’une épaule

    Qu’il a beaucoup désirée.

    Il rêve d’un autre rêve où

    Il se souvenait d’une nuit d’amour

    Qui n’eut jamais lieu peut-être.

     

    Sous ses haillons bat le cœur

    Du tout-puissant imaginaire.

    Sur son visage

    les larmes d’expériences illusoires

    Ont fait leurs ravins.

     

    Il repart rassasié

    Voile indigo

    Brume de sable

    Sur les échasses de son esprit

    Comme une gigantesque sauterelle.

     

    H.A.6 Juin 1989.

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  • Si je t'aime

    Je serai ce chien irritant qui te suit

    et qu’un jour méchant tu renvoies d’un coup de pied

    Il gémit, incrédule,

    et s’en revient sur tes talons

    et puis gambade devant toi

    t’invite au jeu, à la promenade

     

    Il n’a pas oublié

    qu’un autre jour de misère

    où il aboyait, l’écume aux lèvres,

    où il défendait ton approche d’un regard menaçant

    tu es venu à lui

    tu t’es accroupi

    tu as fouillé sa fourrure

    en murmurant une litanie bête et douce

    tu as trouvé sa blessure et tu l’as pansé

    tu lui as installé une litière près de ton feu

    et lui as dit des mots plus brûlants que les flammes

    qui lui ont guéri le cœur

    Depuis, à jamais attaché à tes pas

    il supporte tes mauvais traitements

    car il sait

    que tu es un aveugle qui marche

     

    Si je t’aime

    Je serai ce jardinier inlassable

    penché sur un arbrisseau malade

    Tout le monde lui dit qu’il n’a qu’à l’arracher

    Mais lui

    Il ramollit la terre autour de la tige

    comme on fait gonfler un oreiller

    il gratte du doigt la lèpre du tronc malade

    il lave feuille par feuille

    il arrose doucement

    et il regarde son arbre

    en lui parlant peut-être

    Patience après patience

    il verra les branches se redresser

    les mauvaises feuilles tomber

    et poindre à leur place

    de petits embryons verts

    C’est que la sève, en bas,

    Aura fini par l’entendre

    Et haussera la tête vers son baiser

     

    Si je t’aime

    Je serai une femme dont le sang coule

    ponctuel

    pour que coule la vie

    Je serai une femme lovée sur la douleur de son ventre

    une femme écartelée par la vie neuve qui sort d’elle

    une femme aux seins lourds et gercés

    qui se donne à manger

    au petit enfant goulu

    une femme présente

    attentive à tes besoins

    veilleuse de ta fièvre

    bondissante au milieu de la nuit

    parce que ta plainte murmurée

    a trouvé son oreille au plus profond

    au plus lointain, au plus délicieux de son sommeil

     

    Je souffre trop pour t’écouter

    Tu m’exaspères avec ton museau humide sur mes mollets

    avec ta fidélité stupide

    et tu me donnes envie de te battre

     

    Tu perds ton temps avec ton arrosoir

    Tu peux même m’inonder de tes larmes

    je ne pousserai plus

    je ne vivrai plus

    C’est trop difficile de lutter chaque jour

    contre le vent, contre le froid et contre les chenilles

    pour un hypothétique bouton que le gel brûlera

    pour un hypothétique fruit où le ver se mettra

    Et puis regarde-moi

    Es-tu sûr que je ne suis pas une herbe vilaine ?

    Qui t’a dit que je pourrais devenir grand et te donner de l’ombre ?

    Qui t’a raconté la sornette d’un fruit lourd et doré

    suave à ton palais

    soufflé comme une bulle

    de la maigre sarbacane de ma branche ?

     

    Et pourquoi tant de soins, ma mère ?

    Je n’ai pas demandé à venir

    Il faisait doux et chaud dans les limbes

    Tu m’as jeté dans ce monde froid

    dans cette lumière crue

    dans ce monde cruel

    et ma première inspiration a été une brûlure

    Qu’adviendra-t-il de moi ?

    Serai-je une fille parturiente comme toi

    une femme qui s’use au service d’une famille ?

    Serai-je un fils que la vie accablera bien des fois

    et peut-être un homme qu’on jettera dans le charnier d’une guerre ?

     

    Oui, mais pour moi, le chien, qu’elle est belle,

    la promenade du matin dans la colline

    dans les parfums nouveaux de l’aube

    dans la lumière bien lavée des premiers rayons

    lorsque je jappe d’allégresse

    et offre à ta paume la soie floche de mon col !

     

     

    Comme brille ta feuille qui tremble dans le vent

    lorsque je renverse la tête sous tes ramures déployées

    quand tu as enfin consenti à grandir, mon arbre !

    Comme elle fond sous ma langue

    la chair satinée de ta pêche

    comme se froisse sous ma dent la pruine et le velours de ta peau !

     

     

    Et comme tu es beau à regarder, mon enfant,

    lorsque tu cours dans le soleil

    l’œil brillant, la joue animée,

    comme elle est douce, la musique de ta voix

    comme elle est chaude, l’écharpe de tes bras

    lorsque tu l’enroules autour de moi

     

     

    Comme la vie est dure

    Comme la vie est bonne

    Et comme elle a raison de s’obstiner !

     

     

     

                               Hélène Aribaut

                                               Fuveau, fin 1987 ou début 1988.

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  • Pourquoi ne peut-on demeurer

    sur les sommets rocheux

    les champs de fleurs

    les neiges éternelles

     

     

    ou bien dans les grands fonds marins

    où bougent les coraux

    aux étages de la paix inaltérable ?

     

     

    Pourquoi faut-il que la vie

    cruellement nous repousse

    vers les vallées enfumées

    vers les vallées de larmes

     

     

    nous rejette à la crête

    des vagues et des tempêtes

    dans la mousse salie

    des débris de batailles ?

     

     

    Pourquoi, pourquoi tarder

    à nous appeler

    aux félicités promises ?

     

                                          Hélène Aribaut

                                           Fuveau, 11 Août 1987.

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  • Poète, tu es celui qui ne veut pas tenir de place.

    Petit lit dans la chambre trop peuplée

    Silence de la lecture

    Plus tard silence de l’amour.

    Tu as croisé des gens tonitruants

    Qui n’ont jamais douté de leur légitimité

    Qui exigent et qui puent en toute souveraineté.

     

    Tu as choisi le livre le plus dépenaillé

    Sans couverture ni nom d’auteur

    Et en as fait ta Brocéliande.

    Tu t’es fabriqué des disques de carton

    Que tu faisais jouer dans ta tête capitonnée.

    Tu as déroulé, entre deux bâtons,

    Des cinémas peints sur cellophane.

    Tu as fait tenir ta littérature

    Sur des bouts de papier

    De petits carnets grignotés sur la vie que d’autres te prenaient.

    Tu t’es laissé envahir par ce que d’autres construisaient.

     

    Mais enfin !

    Quand vas-tu oser ?

    Ose la tendresse de ton regard sur le monde

    Ose tes images.

    Ose ta musique.

    Mêle ta voix aux chœurs des prophètes

    De ceux qui voient et disent

    Avant que demain advienne.

     

    Le Haïku est miette

    Que seul l’oiseau convoite.

     

    Offre aux hommes la moisson abondante

    Que leurs yeux atrophiés ne peuvent percevoir.

    Illumine pour eux des champs

    Dresse des arbres et des montagnes

    Fais rugir le tonnerre.

     

    Garde pour Dieu la simple goutte

    Où tremblent des mondes.

     

    Hélène Aribaut

     

                                                                        ACCUEIL

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