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Poème de l'arbre (inédit)
Poème très long parce qu'il est une compilation de plusieurs poèmes!
MES ARBRES
L'arbre le plus beau celui
dont les caprices de branches furent autant d'obstacles rencontrés
contournés ou franchis
autant de vents contraires ou de souffrances
ou la volonté sensuelle de l'arboriste zen
Le poète le plus vrai celui
que déchire chaque jour
Et il fait de ses traces sanglantes des hiéroglyphes pour rêver
Mon piano est un arbre venu de loin
qui a poussé longtemps sans savoir que dans ses veines d'acajou
viendrait chanter la grâce que j'appelle
Et ma table est un arbre où je viens mettre bas mes petits
écrire et pleurer, manger et vivre
rêver sans que les feuilles bougent
un arbre privé de vent mais vivant, toujours,
buvant comme une ambroisie le miel renversé par l'enfant,
accueillant la marée des choses de chaque jour
stylos, journaux, livres ( des arbres encore)
verres, tasses, fleurs, et les coudes des amis.
L'arbre est partout dans ma maison
apprivoisé
branche fleurie se réfractant dans le cristal,
bambou tressé, planche où l'on dîne, couvert à sauce chargé d'arômes
et ce saladier rond d'olivier d'Espagne
où sourd l'huile en lumière dorée.
Arbre percé de la flûte
Bateau-guitare
Faîte de l'arbre dans le ciel
l'élytre sonore de mon violon
Il s'est fait doux et domestique
mais aux jours de tempête il geint
répond à sa famille du dehors
Les grands troncs aux méandres profonds
les grands fleuves aux affluents mouvants sous la tornade
les bras levés haut dans l'imploration du ciel sous l'averse
et la chevelure ployée sous le faix du vent
les cyprès torses allumant sur la colline des brasiers noirs
la fourrure dense des pins à flanc de montagne
les sapinières noires aux fûts de cathédrale
où l'on pénètre voûté sous le poids des grandes orgues
dans l'encens capiteux de la résine
sur le tapis stérile des aiguilles avec
dans les trouées rougeoyantes du vitrail
l'exubérance folle et verte des fougères
et l'exquise fraise petite au goût violent
Et dans mon corps aussi je sens la sève pousser
ses rameaux bleus et rouges
La vie se ramifie vers la terre et le ciel
Et parfois
immobile et debout dans le soleil
les yeux fermés
le pouls à l'amble avec la terre
je me laisse remplir par la source qui monte et j'attends,
végétale, la volonté mystérieuse de la terre
sous mes pieds, de mes jambes dans la terre,
et de tentacules électriques révélés patiemment dans la lenteur de l'extase
lorsque mon faîte accepte la folie du ciel
et que mes bras écartés offrent à l'été les fruits de ma poitrine
le soleil les dore, la pruine les poudre
Mon poème est ce printemps aux tiges grêles qui promet déjà
l'horizon enflammé d'août, et octobre gravide
et bientôt pourriture
et plus tard nourriture pour le nouveau printemps
Mais je m'endors Je descends dans le rêve
Mes racines plongent profond chercher l'eau la plus pure
Par-delà les filtres sableux de la mémoire
Ma forêt ne s'enorgueillit pas d'essences rares
Il y règne la presque monotonie de la pinède sèche trouée de garrigues
les vagues furieuses des branches que le mistral anesthésie de tout parfum
ou bien, à l'heure moite de la sieste,
où seule et folle je m'écorche les mains d'une brassée de chardons bleus,
je promène mon visage à l'exacte croisée des fragrances
la résine lourde qui tombe sur les rocailles chauffées à blanc
l'alcool violent du thym qui vole à sa rencontre
et parfois les hampes grises des lavandes sauvages
ajoutent leur épice au breuvage de juillet
Les collines d'hiver
mes promenades amoureuses
Dans les forêts superposées du souvenir
fresques pâlies de la petite enfance
s'aligne l'allée de platanes dans la poussière de juin à la sortie de l'école
les châtons éparpillés
pompons défaits de soie ocre qui volent dans nos cheveux
la lèpre du tronc où je clugne
le placard de maman-confiture
et les bancs verts qui sentent l'urine et le clochard
Verdure domestique entre les grilles des jardins
massifs dessinés, arbres élagués portant au cou leur nom latin
déployant une ombre amie sur la loueuse de vélos d'enfants
jetant leurs feuilles sur la bâche verte du manège
dans le caillebotis des balançoires
On avait creusé des canaux pour le plaisir des passerelles
et trois jardins se donnaient la main
par leurs viaducs de dentelle
où coulaient des géraniums-lierres
Si je veux isoler un arbre
de sa gangue de terre et de vent
de l'humus de mes fantasmes il meurt
Si je veux isoler la terre
boule folle où tout se passe
ou poignée fusant entre mes doigts
il me reste
le vide entre les comètes ou bien
la toile serrée de ma paume
dont la tourbe restée accuse de noir tous les sillons
Mon poème court, ombre, devant moi ou me suit
et ramasse tout ce qu'il rencontre
parfois s'adosse à un cèdre
et ferme les yeux pour entendre la mélodie de son odeur
et quelquefois se couche à même le sol à écouter un pouls
le sien, celui de la planète, il ne sait
Plutôt rencontre de deux houles
confluent, embouchure ou ria indécise
duo mélange flux et reflux
Mais toujours appelé plus loin
ne sait ce qu'il cherche
il ne s'arrête
que sur les microcosmes
Le cerisier se laisse traire
La branche raide reconnaît la main et s'approche
Les doigts diligents pincent les feuilles
L'échelle vibre avec l'arbre
Au sommet tu es dans le vent
la cime végétale parcourue de vie et de sève
Tu te balances branche parmi les branches
la tête dans le ciel
Au jardin d'Eden poussaient des poémiers
et d'un seul geste expert
tu en délivrais des grappes rouges
Lien du film (1987) de Frédéric Back : L'homme qui plantait des arbres (sur un texte de Jean Giono dit par Philippe Noiret):
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