• Trop-plein de sang.

     

    TROP-PLEIN DE SANG

     

    Et de nouveau les grands pluriels dilatèrent le cercle bleu des aventures

    Le grain fin d’aventure glissé dans mes rouages put conter son histoire en toute humilité

     

    Des goélands d’ivresse planent sur les galères Ebahis du miracle emporté sur leurs ailes

    La musique en est au jour de création de l’homme

    Et les îlots d’arpèges où danse le mât d’une clarinette remuent la mémoire enfouie

     

    Ce qui m’use ce sont tous ces pays de mots traversés et la crête invisible d’une future épreuve de glaces

    Ce qui vieillit l’immobile explorateur de cadences c’est le va-et-vient des vents harnachés de missives sur sa face exposée à tous les ruissellements de rayons et de pluies

     

     

    Ma respiration échange avec le monde des kilomètres d’aventures

     

    Et voici mon poème alentissant son regard sur les steppes fauves de la pérennité

     

    D’où part –dis-tu – la sève qui fleurit là-haut les névés ? Jusqu’où se gravent les racines de ta joie ?

     

    C’es vouloir compter des nuages toutes les causes toutes les sources toutes les mers

    Et tous les fours errants des vents d’argile qui les captent

     

    Ma montagne est une acrobatie sans filet sur la stupeur des lacs les doubles de ses cascades

    Mon amour est le plateau du geyser quand la femme sereine du ciel s’y couche nue et s’y endort

     

    Après que le soleil eût repeint d’azur la lèpre de ma cellule ma bouche aux gestes titubants d’un nouveau-venu sur ses deux jambes modula les syllabes du miracle – le nom donné à tout ce qui ne nous appartient pas –

    Et toute ma frénésie d’expression ne fit pas davantage que l’appel rauque de la poulie lorsqu’elle hissa jusqu’à la margelle du puits mes larmes

     

    Mon ami comme il faut que tu m’aimes pour accepter ce viol consenti de mon âme par la paume lente du poème pour t‘effacer devant ces manigances amoureuses avec le verbe pour ne me prendre qu’à la faveur d’une alerte au maquis brûlé des consonnes

     

    Mais ne crains rien pour le timon je ne tire pas à dia notre attelage file droit dans les reliefs qui se présentent et l’effort d’une image ne freine pas notre voyage le vent nous gaine avec l’amour de son métier et moi je me laisse être celle que tu aimes écrivant sous ton œil ami le souvenir encore chaud de la litière calme le confluent souterrain de nos deux rivières après leurs jeux diurnes dans les champs de flammes

     

    Rien ni force ni rage ni patience ne changea d’un iota le nombre calculé de mon attente

    A l’heure dite me vinrent ces mots raisins jetés en cascade de la corbeille et déroulant leurs ambassades jusqu’aux angles de la cuisine

     

    Et l’image passe avec la simplicité des saisons

     

    Je feignis d’ignorer la poésie comme un grand courage auquel on n’est pas prêt jusqu’à ce qu’un loriot joaillerie savante épinglée sur le revers sobre du crépuscule me redonnât le goût d’un luxe à conquérir

     

    Duel de sources qui se captent Pentes enjôleuses du juste et de l’injuste Pic du tournoi ô couronné je t’ai gravi pour assister de haut à la guerre des cimes pour apprendre comment les fleuves s’initient

     

    Je m’essaie au déluge des ères et des nations Aux cycles enroulés des cuscutes évolutives Aux noblesses des pluriels et des mystères syllabiques posés en voile sur les crudités de la genèse

     

    Je m’initie au souffle des fleuves et des yogis Je stratifie l’intelligence du monde de la nue à la radicelle du magma du noyau au vide qui s’enroule

    Je m’exerce à constater l’orbe inaudible des soleils et des abeilles

     

    Je bois à coupe ronde la Géographie Sobre encore hier je m’enivre vite à la seule goutte de cobalt de la Floride Au fumet d’étable du Bosphore Au rubis liquoreux de l’Afrique Au buisson ardent d’Hawaï Aux équilibres nasillards antipodiques de la Chine

     

    J’additionne les suspens et les certitudes Les cristaux et les mammifères Les mareyeurs et les prêtres à l’image des grands mais calculables inachèvements cosmiques Chaque jour le torse barré des trois couleurs unit hier à demain qui promettent d’infléchir le plateau des longues statistiques

     

    Tu ne peux pas te souvenir Le soleil dansait sur les grands quadrillages géodésiques et la perche oscillante des jours et des nuits le balançait entre les pôles Et les dociles projecteurs nouaient avec lui les mêmes boucles périlleuses privant de clarté toute une orbe attentive lui concédant parfois la seule lunule claire d’un reflet

     

    Le poème court vomit et déblatère et ce soir retourne à la saoulerie

     

    Tout progresse avec des retours de vagues et de cigognes avec des pruines des patines des hibernations des fausses morts dans des cercueils nématoïdes

     

    Le poème cache bien son squelette jusqu’à sa mort Le poème me danse autour Le poème à la seconde où l’once de chair brûle qui me séparait de la mort Le poème me coupe le souffle par le seul jeu de

     

    l’inégal

     

    La vie seule a droit de fatras A droit de se tromper d’électrodes jusqu’à la mort La vie peut tout mêler peut tout singer peut tout signer des tables crétacées du silence du cormoran au ventre courbe aux artères volubiles de la machinerie  humaine 

     

    Les canaux qu’on a démuselés d’écluses

    Les sources qu’on a épargnées dans un bas de montagne jusqu’à la gerbe de tumulte et d’éclairs

    Les criques qu’on a soudoyées de bombes

    Et les feux d’artifices lacustres les nuits de festival

    Et les gaz souterrains chuintant dans le silence régulier des dormeurs la mort infusée sans bruit dans leurs poumons

    Et les bouchons cachés des goulots en sillage de mousse

    Le volet claqué du harangueur paranoïaque au-dessus des foules matinales qu’il ne dénombre plus

    Et les fleuves opulents brasseurs de fonds et de reflets

    Où flottent des houillères et des fûts de résine –

    et sur le dos un nageur blond faisant sa sieste

    un caramel noir de feuilles aux commissures de leur sexe

    une vomissure de marne à leur bouche

    et les débardeurs bleu goudron patinés de sel et leurs cirés depuis le train

    hauts-fourneaux sémaphores

    dans la nuit éraillée d’amour et de voirie

    et l’océan qui rue sous l’éperon aigu des brisants et des angles d’épaves

    et le sperme fouisseur jusqu’à l’ombelle fugitive

    et la sève brûlante soufflée tulipe de cristal à l’embout de la sarbacane

    la langue sèche des tourniquets peignant les nougats et les poupées foraines

    et les manèges avec leurs disques contrariés Et les tornades

     

    et la valse lente de fumerolles pensives

     

    Tu ne peux pas te souvenir

     

    Salicorne agrippée comme un poil à  l’aisselle du delta

    Glanure du voyage qui germe après de longs hivers

    Chaque ballon respiré serre un poisson une couleur pour les famines ou cécités futures

     

    La liberté siffle dans l’écho

     

    Insecte arc-bouté et qui retombes

    Tu ne lui pardonnes pas de nicher si haut

     

    La liberté transmet la chasse à ses enfants qui  se passeront d’elle Ces grappes de souvenirs qui me  lestent me sont espoir de monter encore Ces laisses sociales me sont autant d’électrodes qui me lardent

     

    Echeveau des contraintes

    Peloton des logiques

    Et le pointillé des fulgurances

     

    Et l’aïeule devinant mes fourmis impatientes préféra fermer le livre et glisser seule vers les plages douces de la lenteur

     

    Hélène Aribaut

    Encres Vives n° 67 Automne-Hiver 1969

     

     

    Trop-plein de sang. (Poème publié dans ma jeunesse)

     

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