• Quand les gestes sont INTERDITS

    Les mots BAVARDS

    La musique EPUISANTE

     

     

     

    Il reste ce milieu du jour silencieux

    où se taire et contenir son coeur

    jusqu'à ce que le sommeil

    à notre félicité

    mette un point d'orgue

     

     

    Nous avons mérité l'oiseau en nos jardins

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  • Le poème est venu se poser devant moi, hier, à l'heure où je n'attendais plus

     

     

     

    Et moi me suis mise à respirer pianissimo con amore

    tremblant qu'un souffle de mon émotion ne l'épouvante et ne le chasse

     

     

    Je n'osai même pas me lever pour atteindre les graines à oiseaux

     

     

    Petit flûtiau de frayeur qui t'envoles

    on n'entend que ton coeur habillé de plumes

     

     

    Hélène Aribaut

    Toulouse, années 60.

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  • CHINOISERIES

    « …Le santal vieux qui se dédore… »

    Mallarmé

    Vieux oiseaux paradisiaques

    Vieux médecins maniaques

    Mauves, camomille et verveine

    Dans les grands pots de porcelaine

    De grands pots fanés

    Où se sont effeuillés

    Des simples séchés.

    Elixirs poisons et thériaques.

    Fêtes étranges, cris et masques

    Où naît, en ombre sur le mur,

    Le profil fin, gracieux et dur

    De ces oiseaux fantasques.

     

     

    Hélène Aribaut

    Toulouse 1962

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  • TRAVAUX D’AIGUILLES

     

     

    « Le premier vers est porté par les dieux. »

    Paul Valéry

     

     

    Le monde est un patchwork de couleurs et de fibres

    Intimement croisées, souvent à leur insu,

    Par une volonté qui nous préfère libres,

    Et peut seule embrasser l’ensemble du tissu.

     

    Je suis, tu es un fil qui se fraie, maille à maille,

    Un chemin compliqué, obscur et périlleux,

    Dont tu ne vois qu’un pas après l’autre, à la taille

    De ta vue limitée à l’horizon des cieux.

     

    Ne résiste donc pas à l’aiguille qui guide

    Ton tracé ignorant, craintif et saugrenu :

    Aie confiance en la main qui doucement dévide

     

     

    Ton destin tricoté en un point inconnu,

    Dont tu peux toutefois infléchir d’une bride

    Ou d’un retard la voie de celui qui décide.

     

     

    Hélène Aribaut

    14 Mai 2007, 17h.

    Publié dans le blog Dentelles d'Encre.

     

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  • PREFACE

     

     

    Ce soir, un souvenir me vint en douze pieds,

    Et je multipliai la donne alexandrine

    Par les quatorze vers qui siéent à un sonnet.

    .Je sentais m’entourer la bienveillance fine

     

    D’une foule d’esprits et d’âmes magnanimes,

    D’anges et troubadours que souvent j’ai priés.

    Une sérénité montait de mes racines,

    Revenaient des bonheurs ni morts ni oubliés.

     

    Alors je composai le poème qui suit,

    Ecrit, à dire vrai, avant ce sonnet-ci.

    J’avais la joie de Proust devant ses aubépines.

     

    J’obéis à la voix qui gouverne mes nuits,

    Et tant pis si cet ordre impérieux me nuit :

    Ma santé vaut bien moins qu’une grâce divine.

     

    19 Novembre 2003 . 0 h 30.

     

     

    GRATITUDE

     

     

     

     

    L'interdit m'arrêta aux portes de l'extase.

    Tant je t’aimais, jadis, que je la refusai.

    Pourtant oui, je l’avoue, en mes nuits je l’osai,

    Et il arrive encor que mon rêve s’embrase.

     

    Du passé je ne veux faire la table rase.

    Cependant, mon ami, toujours je te verrai

    En étrange délice et lointaine contrée,

    Un feu perpétuel, mais pur et sans emphase.

     

    D’amante, j’ai mué en délicate sœur.

    Et je trouve aujourd’hui que la morale est belle

    Qui du passé flambant a fait une douceur.

     

    Et si la braise au vent semble entrouvrir son aile,

    Je l’apaise d’un geste aussi frais qu’une fleur.

    Ne nous hâtons jamais : la vie est éternelle.

     

     

    Hélène Aribaut. Fuveau,

    18 Novembre 2003, minuit moins dix.

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  • Puisses-tu accrocher tes filets assez haut

    pour retenir l’oiseau qui refuse l’escale !

     

    La vue du nid le chasse où son aile, pourtant,

    voudrait bien s’arrondir pour réparer ses forces.

    Mais il fuit le sommeil, la geôle artificieuse

    où l’on se plaît trop bien, qui ressemble à la mort,

    et préfère voler vers elle, doucement,

    toujours inquiet de sa rencontre, mais du moins

    l’œil grand ouvert, curieux des pays, des nuages,

    et face au ciel, jusqu’au moment de rendre l’aile ! 

     

    H. A. Toulouse 1965 ou plus tard.

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  • «  Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver. »

    René Char

     « Les compagnons dans le jardin »

    La parole en archipel)

      

    Deux jours deux nuits

    Est-ce moi ?

    Est-ce moi cette lame brillante qui grave tous les plis secrets e la douleur ?

    Qui m’a mis dans la main cette arme si longtemps tournée vers moi,

    et m’en a donné la science ?

     

    mon amour mon pareil

    demeure en moi le visage trop beau des vies de la musique

    Je sois en toi l’intouchée de tout ce qui n’est pas ton âme.

     

    Mon ami mon amour les mots ne sont que grains de sable vitreux

    Aveugles peaux tièdes sur le sable flambant

    MAIS ILS GERMENT

    voici le point de verdure,

    voici le pampre

    voici le cep

    voici la vigne déferlante sur les sept montagnes du Rhin

    et le vin forcené qui coule dans tes veines

    et la grappe foulée de mon corps parmi d’autres corps

    dans le brasier géant de la douleur humaine.

     

    Je m’enroule Je m’enserre

    Je t’étouffe Je t’habite

    Mes yeux voient derrière tes yeux

    Mes oreilles écoutent ce que tes oreilles écoutent

    La fièvre va et vient

    de toi à moi de moi à toi

    Nous respirons la même haleine du violon

    Premier cristal aux harmoniques du glacier

    La même mort alterne ses gestes sur nos tempes

    La même mort suspendra l’orchestre

    Sommes-nous côte à côte la même digitale parole du chef ?

    Avons-nous la même hiéroglyphe sonore et nos doigts

    auraient-ils choisi le même soupir pour tourner la page ?

    Garde mon sceau Garde ma clef

    Le poème vital est sous ta garde. 

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  • Histoire pour les vacances de Florence (Juillet 1979)

     

    Loup-Hou et Chèvre-Lèvre s’étaient connus quand ils étaient tout petits. Ils se voyaient souvent en cachette, ou plutôt à l’insu de leurs parents – qui étaient occupés ailleurs – car ils ne se cachaient pas du tout. Comme ils étaient vraiment tout petits petits, on n’avait pas encore eu le temps d’apprendre au loup à manger les chèvres, ni à la chèvre à essayer de ne pas se faire manger par les loups. Alors ils jouaient ensemble de tout leur cœur et s’aimaient sans arrière-pensée.

    A cette époque, d’ailleurs, le loup s’appelait encore « Louveteau-Tôt », et la chèvre « Chevrette-Tète », parce qu’il était encore tôt dans la vie du Loup, et que la chèvre tétait encore sa mère. Et puis ils vivaient tous dans la montagne où l’on est entouré d’échos. C’est sans doute pour la même raison que, devenus grands, on leur donna encore les noms très officiels et définitifs de « Loup-Hou » et « Chèvre-Lèvre ». « Hou » parce que le loup avait appris, hélas, à hurler avec les loups. « Lèvre » parce que lorsque la chèvre mâchait de l’herbe, sa lèvre inférieure se tordait drôlement en pendant, si bien qu’on la remarquait comme le nez au milieu de la figure.

     Un jour, Chevrette-Tète avait dit à Louveteau-Tôt qu’ils se marieraient ensemble, plus tard, lorsqu’ils seraient grands. Et l’autre était bien d’accord. Mais un jour, le petit loup annonça que ses parents déménageaient, et qu’il était bien obligé de déménager aussi. Chevrette-Tète, qui ne tétait d’ailleurs plus, fut un peu triste, puis un peu moins triste, puis plus triste du tout, et elle finit par oublier presque tout à fait son ami.

     Un jour, longtemps après, Loup-Hou et Chèvre-Lèvre se revirent. Mais ils ne se reconnurent pas. D’abord, ils avaient beaucoup grandi. Mais ce n’est pas cela qui les changeait le plus. Loup-Hou, nous avons le regret de l’avouer, était devenu un peu bête, comme beaucoup de gens malheureusement, et il ne pensait qu’à son tableau de chasse : il tuait souvent sans faim, rien que pour la gloriole d’augmenter le nombre de ses victimes et de s’en vanter auprès des copains. Chèvre-Lèvre, elle, avait l’air vieux. Elle avait mis du poil au menton, ce qui est bien normal chez la plupart des chèvres. Mais surtout, elle se prenait très au sérieux. Elle avait failli avoir un chevreau – qui n’avait pas voulu venir au monde s’y faire manger par les loups, ni par les hommes car ce n’est pas mieux. Il n’avait pas tout à fait tort. Mais sa mère aurait pu lui expliquer qu’avec beaucoup de vigilance et d’astuce on arrive, parfois, à vivre sans se laisser manger. Donc, Chèvre-Lèvre avait failli devenir mère mais n’avait pas réussi, et cela l’avait beaucoup marquée. Depuis, elle se prenait pour un personnage très important, très sage, qui avait assez vécu pour se permettre de faire la morale aux chevrettes étourdies qu’elle rencontrait. Et puis, comme le bouc s’était moqué d’elle et n’en voulait plus pour épouse, elle s’était aigrie. Et la rancœur, le dépit, l’amertume lui faisaient une tête de pimbêche. Mais au fond, tout au fond d’elle, enfoui, il demeurait toujours un petit bout de la petite Chevrette-Tète qu’elle avait été ((non, pas tété !), et qui jouait avec une belle innocence en compagnie d’un bébé-loup.

     Le premier réflexe de Loup-Hou lorsqu’il vit la chèvre fut de se jeter sur elle pour l’égorger. Le premier réflexe de Chèvre-Lèvre lorsqu’elle vit le loup fut de se cabrer et s’enfuir à grands bonds. Mais au moment où Loup-Hou allait bondir en avant, et Chèvre-Lèvre bondir en se vrillant en arrière, voici ce qui se passa : la barbe de Chèvre-Lèvre s’était un peu entortillée autour d’une ramille, ce qui la fit loucher une seconde, et alors elle aperçut, marchant à pattes menues sur la ramille comme un funambule, un tout petit insecte mordoré. Juste au même moment, le soleil passait derrière un sapin et réussissait à darder un rayon à travers deux branches épaisses, jusque sur le dos du petit insecte qui se mit à étinceler comme un diamant ou une perle d’eau. (Je préfère la perle d’eau, car tout le monde peut y puiser autant de plaisir pour pas cher). Il faisait 35° 4. Le ciel était d’un bleu de ? (Là, je suis bien embêtée, car je pense à une petite fleur qui ne pousse qu’en montagne et qui est remarquable par sa couleur bleue intense, mais je n’ai jamais su son nom ) bref, le ciel était bleu-bleu-bleu, et ça sentait très fort la résine (à cause du sapin). Eh bien, crois-moi ou ne me crois pas : lorsque Chèvre-Lèvre s’appelait encore Chevrette-Tète, un jour, elle avait posé son mufle sur une ramille, louché sur un petit insecte mordoré que le soleil illumina aussitôt en se glissant entre deux branches épaisses de sapin ; et forcément, ça sentait la résine puisqu’il y avait un sapin ; d’autant plus qu’il faisait chaud : 35° 4 très précisément ! Et j’oubliais le ciel aussi bleu que la petite fleur dont je ne sais toujours pas le nom. Si bien que Chèvre-Lèvre arrêta net son élan car la tête lui tournait. A cause de l’insecte, du soleil, du sapin, du ciel et de la ramille, il lui sembla que le monde entier était pareil, pareil exactement à ce qu’il était jadis à la seconde du soleil sur la perle d’eau ou plutôt sur l’insecte mordoré. Les montagnes étaient à la même place (cela, ça se conçoit assez bien), mais aussi chaque brin d’herbe ! (C’est déjà plus difficile) Et Chèvre-Lèvre délirait assez pour croire que là-bas, de l’autre côté du monde qu’elle ne pouvait pas voir, tout était aussi exactement pareil qu’à la minute d’autrefois où elle ne pouvait le voir davantage ! Le temps n’avait pas passé, c’était la même éternelle seconde d’enfance qui durait, durait… Et comme dans le tableau d’avant, pareil-pareil, il y avait Louveteau-Tôt (Lève-Tôt, comme elle aimait abréger) qui la regardait et que, oui, justement, il était là, bien vrai, elle le reconnut.

    De son côté, Loup-Hou ressentit comme une commotion électrique. Parce que, la télépathie, ça existe. Comme je n’ai pas envie de t’expliquer ce mot à la manière triste des dictionnaires, je vais m’y prendre autrement : l’émotion de Chèvre-Lèvre se mit à bouillonner sous ses cornes et finit par déborder de ses yeux, ses narines et tous ses pores. Ce n’était pas quelque chose qui se voyait. La chèvre avait seulement un regard étrangement brillant et l’air fou. Mais ça se promenait dans l’air comme une onde, portée par l’odeur de la résine et les 35° 4 de l’air d’été. Et ça ne pouvait manquer de parvenir au nez du loup, qui l’a fin, et qui a une excellente mémoire des odeurs. Car l’émotion de la chèvre, outre qu’elle exhalait un fumet prononcé de chèvre, avait en même temps toute la subtilité mouvante, indescriptible et délicieuse des parfums et des sentiments. Et Loup-Hou, dont la panse mais aussi le cœur passait par l’odorat, sentit bouger en lui quelque chose de très doux et d’oublié. Et il se souvint. Et il reconnut la chèvre.

    Ce moment fut sans aucun doute le plus merveilleux de toute leur existence à chacun.

    Ce qu’ils firent après ? Je n’en sais fichtre rien. Je suis seulement sûre qu’ils ne se marièrent pas et n’eurent aucun enfant. Parce qu’on a vu souvent, souvent, le temps s’arrêter, on a souvent, souvent retrouvé un ami. Mais jamais les chèvres n’ont épousé les loups.

    C’est la fin de cette histoire que j’ai commencée tout à l’heure pour toi, ma Florence chérie. (Ton nom contient toutes les fleurs et donc aussi la petite fleur bleu vif dont j’ai parlé). Je l’ai commencée sans savoir du tout où elle allait m’emmener. Et voilà, nous savons toutes les deux comment elle finit. J’espère qu’elle n’est pas trop difficile. Il y a peut-être un ou deux mots trop savants pour tes huit ans. C’est que j’ai dû devenir moi aussi un peu bête comme Loup-Hou et Chèvre-Lèvre en grandissant. Mais tu devineras. Il y a aussi encore quelques symboles. (Encore un mot savant, pardon ! ) Je ne les y ai pas mis exprès, mais je suis contente qu’ils y soient. Tu les comprendras sans peine. Au revoir, ma petite Florence fleurie et parfumée. Tu sens la résine des sapins de montagne.

    Ta Maman

     

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  • München

     

     

     

    Nous sommes entrés, les mains ouvertes, sur les pavés brillant de lumière de fantastiques médianoches. L'église des dames se penchait sur la Marienplatz. Nous avons vu les gnomes aux yeux de porcelaine, aux joues rouges, trousser haut leur redingote et danser autour de l'horloge une chaconne sans ficelle. Et planait dans l'ombre éclairée de phares glissants une musique diffuse, la connivence des songe-creux.

     

    Les portes roses de l'ancienne ville distillaient la lumière chaude du dernier après-midi, été miraculeux du mois d'octobre. Nous avons regagné en titubant le miroir à hiboux, croisé deux amoureux qui choisissaient des meubles, composé sur le glouglou d'un lavabo voisin un opéra d'avant-garde. Et j'oubliais : rencontré au coin de la Müllerstrasse, près du théâtre des Marionnettes, le vieux marchand d'orviétan qui radotait des fantaisies à la manière de Satan. J'ai ouï, dans les cafés, d'inquiétants dialogues qui finissaient dans un étranglement si prodigieusement rauque et profond qu'ils m'envoûtaient sans que je les comprisse. J'ai frémi aussi à certains mots chuintants, frisés comme le champagne et qui semblaient amener sur les visages, pour un instant, la même euphorie légère des flûtes de cristal. Nous avons, mon amour pour Heinz dans mon manchon et moi, dévidé la nuit munichoise et visité les bancs publics du paisible jardin botanique, espérant y trouver l'amulette de quelque étudiant possédé ou le grimoire d'un conseiller aulique, mais nous n'avons surpris que la chambre ordonnée d'une Allemagne consciencieuse et presque maniaque.

    Hélène Aribaut

    Munich 1965

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  • Debussy, le chant des sirènes de mes jeudis perdus

     

     

    Le poème naît de riens comme une écume

    Il frise de salive les galets épars

    épaules, genoux, méplats des joues

    Il sale de varech l'anse ouverte d'une enfant qui attend

    Le soleil fleurit des micas sur la grève humide

    Mais l'enfant n'a jamais vu de grève humide

    Elle connaît un soleil carré entre les façades grises

    un mur géant

    et la puanteur des cabinets

    un soleil capable pourtant d'allumer des geraniums

     

     

    Le poème est une balançoire incertaine

    Les paupières se serrent sur des miroitements

    Plus tard elle rencontrera le mot "glimmering"

     

     

    De l'aube à midi la mer scintille dans la petite boite ouvragée de la radio

    Une petite fille se souvient de ce qu'elle n'a jamais vu

    Mais sait-on

    Les sirènes halent longuement des filets de pêche et de vieille mémoire

    hululent la douleur si douce d'exister

     

     

    La petite boite de la radio résiste au fracas des vagues et se révèle

    coquillage, conque magique où mugit maintenant la mer tout entière

    le chaos de la genèse sur quoi passe un souffle puissant et souverain

     

     

    L'enfant se perd dans cette musique d'éternité

    Elle gémit sans avoir commencé à gémir

    Toute sa vie elle gémira en poèmes

    une respiration

    une eau qui naquit d'écumes rassemblées

    des larmes trouvées dans la mer originelle

    pour les peines passées, présentes, à venir

    une force qui toujours revient à ses sources profondes avant de monter

    de s'enfler. Les bras ouverts qui ratissent de sournoises fugitives

    une force qui enfle en silence sous une ondulation menteuse

    une force qui se jette soudain

    tonne, explose

    et se résout comme la tempête et le plaisir

    et recommence, et recommencera

     

     

    Le port, le vrai port est cette chose qui dure et qui fait semblant de se briser

    L'enfant heureuse sait qu'elle a trouvé sa vraie patrie et sa matrice

    sa patricienne origine et sa mère de toute éternité

     

     

    La claustration du jeudi répétée semaine après semaine,                      

    des années durant

    Seule ? Non pas. Avec les mots de quelques livres

    avec des orchestres entiers se débattant comme des djinns dans la bouteille providentielle de la radio

    Le monde entier ses parlottes et ses rumeurs et ses moulins à musique

    le grésillement des ondes et des insectes, avec parfois le silence sidéral d'une montagne abandonnée

    et jusqu'aux océans qui battent leur pouls sans mesure dans la petite boite

    dans la petite pièce close aux rideaux de plastique blanc et bleu

    dans l'oreille et le coeur béants d'une petite écolière privée d'école

    d'espace et de course, et de voix connues

    et qui s'invente le monde

     

     

    Plus tard, rien ne l'étonnera

    Les mots et la musique lui avaient tout appris

     

     

    Claude de France, petit enfant pauvre aussi et trop sensible, a envoyé son message d'amitié, le choc avec la beauté

    à la petite fille du 27

    A présent plus rien ne pourra être laid, sordide, abandonné

     

     

    Dans les pires moments on peut se balancer comme les enfants fous

    on peut se bercer comme les enfants dont la mère n'a pas le temps

    Dans les pires moments et dans les meilleurs

    de rêveries vagues, de caresses effilochées, de plaisir clandestin

    dans la litière d'un long matin

    la solitude voluptueuse de l'imaginaire

    un suspens

    une attente

    une résistance passive organisée dans la chaleur des draps, avec des livres de contes et de misère

    des princesses en haillons que reconnaît le prince

    des petites filles du peuple hardies et pures

    qui se bâtissent des fourmilières-bonheur avec la drogue facile des relectures

    un état de siège douillet où l'on compte ses richesses

    Papa, Maman, le soleil, les géraniums, le jardin des plantes et les vacances chez Mamie et Bon Papa

    Mais ici les livres, les histoires, le sésame de toutes évasions

    et cette langue d'outre-temps qui ne dit rien et qui dit tout

    qui fait du mal et qui apaise

    et que tout le monde comprend

     

     

    la musique des origines

    la bienheureuse mer

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  • MIGRAINE

     

     

    Vrais amis des moments noirs je vous soumets à rude épreuve

     

     

    Quand l'espoir reflue

    Quand je me vide de toutes les marées jaillissantes et poissonneuses

    Quand dans ma tête roule un tambour de guerre

    Quand la mort vient battre des ailes dans mon âme et danse son vol de noire séduction

     

     

    Vous êtes là à me tenir la main

    à me retenir au bord d'un vertige mauvais

    Vous vous taisez ou bien vous dites les paroles de secours

    et moi

    je crache ma douleur en larmes et mots amers

    en mots qui vous cinglent

     

     

    Vous repartez chargés des miasmes de ma maladie

    J'en suis encore toute remplie

    Accablée de ce débordement de souffrance

    Mais j'avale une petite dragée rose

    Je ferme les yeux. Je ne bouge plus.

     

     

    Et voici

    que le tambour s'éloigne comme une armée vaincue

    comme un orage qui recule

    Et la bonne marée revient tout doucement

    ramper sur mes sables de tempêtes

    vient y sculpter la douce ondulation des vagues assagies

    Une tendre chaleur se répand comme une huile

    Et c'est alors

    alors seulement

    que je vous vois

    que je vous entends

    Cette chaleur bienheureuse qui vient battre en moi jusqu'au bout de mes doigts

    Ce bonheur d'exister revenu

    c'est vous

    c'est l'amitié fidèle qui circule dans mes vaisseaux et me rend la vie

    Amis vous m'avez transfusée et vous êtes partis

    avant d'avoir revu le rose sur mes joues Avant

    d'avoir pu écouter mon souffle paisible d'endormie

     

     

    A présent je me réveille comme d'une amnésie

    Une autre personne qui ne sait plus

    qui ne comprend pas

    Qui étais-je hier ?

    Un corps malade, essoufflé, martelé

    Une âme souffletée, noyée, empoisonnée

    Qui étais-je ? Je veux l'oublier.

     

     

    A présent que la bonne vie respire

    Que je me sens tout arrondie d'elle

    je veux vous redonner les fleurs de mon jardin

    les fruits de mes arbres

    le chant de mes oiseaux

     

     

    Il y a un oiseau qui tous les matins m'appelle

    Il m'ouvre le jour

    S'il vient à manquer le jour commence triste

    et boîte jusqu'au lendemain

    Mon oiseau, ne me laisse pas

    Mes fenêtres sont ouvertes

    Tu peux entrer et t'en aller Je ne te retiendrai

    jamais prisonnier mais viens

    Viens me visiter

    Chatouiller dans ma gorge le goût de chanter

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  • SPECIFIQUEMENT FEMME

     

    Grève de la lumière. Grève de la musique. Araignée au milieu de sa toile de silence, j'écoute vibrer encore les ondes du dernier rêve, du rêve triste, comme prémonitoire de ce jour atone, humide et froid, mortuaire. Tu étais pourtant dans mon rêve, mais hostile, opposant un sarcasme muet à ma famélique tendresse. J'ai laissé sourdre un vrai gémissement qui m'a réveillée. Je geins de misère physique, de solitude froide, d'un désir impossible à calmer, et qui ignore lui-même ses contours.

     

    L'enfant en moi s'est éveillé aussi, a tambouriné à mes cloisons un langage réflexe dont je n'ai compris qu'un message : "Je suis là. Je suis vivant. Tu n'es pas seule." J'ai caressé ce coussin chaud et turbulent, cette enflure de ma chair après la morsure amoureuse. J'oscillais entre les larmes sans raison et une joie immobile. L'enfant a étiré un membre aux confins de ma hanche, pinçant et chatouillant, me faisant tressaillir au bord de chaque assoupissement. J'ai dû basculer comme un sablier sur le flanc, l'obligeant à couler sur l'autre versant, mais je prenais le risque d'espiègleries symétriques.

     

    Dans ce silence isolé des champs, je puis sans témoin gémir en plein jour, laisser couler de moi la plainte comme les larmes, la salive, l'urine ou le sang, comme cette liqueur sans nom du désir et de la volupté qui se teignit de rose, un jour, sur ta main étonnée. Ces mots pour me souvenir me brûlent et m'autorisent à de plus osés fantasmes. Mon ventre se fend sous ta bouche comme la grenade éclate et saigne sous l'été - et la crevasse ensuite demeure béante, se desséchant au soleil, cicatrice cautérisée à vif et condamnée à ne plus se fermer.

     

    Mon sang a passé comme un orage diluvien et emporté ta semence. Ainsi le vent se déchaîne et remodèle les dunes, pour les punir d'avoir molli sous la caresse solaire. Mais le peuple souterrain des fennecs se rit des frayeurs de la surface, et revient orienter ses oreilles à l'écoute des voix inchangées du désert. Mon sous-sol s'est lavé de semailles illicites, mais un germe a crû, qui taira toujours une part de ses origines.

     

    Et l'enfant consomme innocemment l'inceste originel, en pesant sur mes terminaisons nerveuses les plus ténues, les capillaires dangereux dont la moindre pression attise la chaleur irréversible...

     

    La Colombine, 1977

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  •  

    Gémellité

     

     

    Une moitié de moi est rigide

    L'autre la touche sans comprendre

    incrédule et terrifiée

     

     

    Mémoire d'avant l'âge

    Dans l'habitacle de ma mère

    deux peut-être je vivions

    chaleur, douceur, berceau

    deux et un seul indivisible

    noués à la même source de vie

    deux pareils et autres

    masculin et féminin, alpha et oméga

    l'envers et l'endroit

    tête en haut et tête en bas

    bienheureuse complétude

    pouls battant en écho

                                                                                                                  

    succion du désir de vivre

    à l'écoute de la même marée rassurante

    du sang maternel

     

     

    Et puis

    -amnésie de l'évènement-

    violence, séisme, crime, accident,

                                                                                                                                                                                                                           

    qui le sait ?

    soudain

    mon toucher aigu d'enfant qui n'a pas encore ouvert les yeux

    cette raideur contre moi

    Qui est mort?

    Moi ? L'autre ?

    L'autre moi-même ?

    L'horreur de me toucher, morte.

    Je touche. Je ne suis plus touchée

    La radio ne répond plus

    La terreur

     

     

    Ensuite

    L'oubli.

    Est restée la douleur d'une amputation

    Mais parfois le contraire

    je suis ajoutée

    Ai-je ouvert la porte à cette âme chassée,

    à cette âme éperdue ?

    Ce serait pourquoi ce trop-plein

    cette richesse

    cette tension, cette pression,

    ces déchirements.

    Double.

    Je dois enfouir une âme entière, ne la faire surgir qu'à petits coups.

    Ma tête, abri trop étroit pour un passager clandestin.

    Toi qui en cachette t'es réfugié en moi

    invisible hypertrophie

    sentir double

    joie double

    douleur monstrueuse

    Et ne le dire sans effroi

    Défendu

    Mon frère jumeau.

     

     

     

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    BOITE VOCALE

     

    La boite vocale me commandait :

    « Appuyez sur ci, appuyez sur ça. »

    Mais mon c        as n’était pas prévu

    Et elle ne pouvait rien inventer.

     

    Quel soulagement quand j’entendis enfin la vraie voix de quelqu’un

    Qui m’écoutait, me répondait !

    Je lui supposais un visage rose et bien lavé

    Un air propret de mère attentive et d’amie dévouée.

     

    Je l’aurais embrassée.

    On n’embrasse pas un être virtuel.

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    C'était beaucoup trop tôt pour commencer ma vie

    Alors je la rêvai. Et encore aujourd'hui

    Je rêve à ce qui fut, qui aurait pu, peut-être,

    Et ne sera jamais. Il est trop tard pour être ! ?

     

    « Mais non ! dit le docteur, qui donc a décidé

    Que vous étiez finie ? »

    Son sourire était franc, et je voudrais le croire.

    Mais s’il faut contenter mon désir infini

    Réaliser mon rêve, enfin, c’est tout le soir

    Des dernières années, que je devrai, couchée,

    Solitaire, enfermée, écrire, écrire, écrire !

    Tout ce que j’ai capté, compris, thésaurisé,

    Avec la peur que nul ne veuille n’en rien lire.

     

    Je me suis interdit d’être assez égoïste

    Pour prendre la lenteur dont j’aurais eu besoin,

    D’oublier ma famille et de vivre en artiste

    Focalisée sur l’œuvre au détriment des miens.

    Vivre, écrire, voire, mais qu’écrire sans vivre ?

    Je suis sûre à présent d’avoir fait le bon choix

    Ou plutôt que quelqu’un m’ait guidée malgré moi.

    Il faut beaucoup de temps, de larmes et de livres,

    Avant d’oser parler au terrible inconnu

    Qui court les librairies et choisit au feeling,

    De lui donner à voir mon âme toute nue ,

    Lui assis, chapeauté, moi debout sur le ring.

     

    Victime ? Paresseuse ? Malade, ou encore lâche ?

    J’attends toujours le jour où je me croirai prête

    A me jeter à l’eau. De tous ceux qui m’attachent

    De sournoise tendresse, o combien peu me fêtent

    Pour mes fugues de mots. C’est tellement commode

    Que je ne change pas, et que je sois malade

    Que je laisse la place

    A leurs façons de voir, à leurs façons de vivre.

    Gentiment il m’enfonce en culpabilité

    Celui qui fait sa vie et ne veut rien savoir

    De ce que prévoyait cette enfant réfléchie

    Que je suis demeurée, mais ligotée par quoi ?

    Par quel secret, non-dit, mensonge ou même drame,

    Suis-je non pas stérile, frigide, mais flamme

    Mortelle, clandestine, et qui veut s’envoler ?

     

    Dans la Bible j’ai lu : « Qui veut garder sa vie

    La perdra sûrement. » J’ai compris qu’en perdant

    Le chemin désiré, je faisais Dieu content.

    Mais à présent, l’horreur se présente à mes yeux :

    Si c’était le contraire ? Et ma vie protégée,

    Au lieu de me tuer à dire pour les autres ?                    

    Hélène Aribaut,

    4/5 Mars 2004.

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