-
SPECIFIQUEMENT FEMME
Grève de la lumière. Grève de la musique. Araignée au milieu de sa toile de silence, j'écoute vibrer encore les ondes du dernier rêve, du rêve triste, comme prémonitoire de ce jour atone, humide et froid, mortuaire. Tu étais pourtant dans mon rêve, mais hostile, opposant un sarcasme muet à ma famélique tendresse. J'ai laissé sourdre un vrai gémissement qui m'a réveillée. Je geins de misère physique, de solitude froide, d'un désir impossible à calmer, et qui ignore lui-même ses contours.
L'enfant en moi s'est éveillé aussi, a tambouriné à mes cloisons un langage réflexe dont je n'ai compris qu'un message : "Je suis là. Je suis vivant. Tu n'es pas seule." J'ai caressé ce coussin chaud et turbulent, cette enflure de ma chair après la morsure amoureuse. J'oscillais entre les larmes sans raison et une joie immobile. L'enfant a étiré un membre aux confins de ma hanche, pinçant et chatouillant, me faisant tressaillir au bord de chaque assoupissement. J'ai dû basculer comme un sablier sur le flanc, l'obligeant à couler sur l'autre versant, mais je prenais le risque d'espiègleries symétriques.
Dans ce silence isolé des champs, je puis sans témoin gémir en plein jour, laisser couler de moi la plainte comme les larmes, la salive, l'urine ou le sang, comme cette liqueur sans nom du désir et de la volupté qui se teignit de rose, un jour, sur ta main étonnée. Ces mots pour me souvenir me brûlent et m'autorisent à de plus osés fantasmes. Mon ventre se fend sous ta bouche comme la grenade éclate et saigne sous l'été - et la crevasse ensuite demeure béante, se desséchant au soleil, cicatrice cautérisée à vif et condamnée à ne plus se fermer.
Mon sang a passé comme un orage diluvien et emporté ta semence. Ainsi le vent se déchaîne et remodèle les dunes, pour les punir d'avoir molli sous la caresse solaire. Mais le peuple souterrain des fennecs se rit des frayeurs de la surface, et revient orienter ses oreilles à l'écoute des voix inchangées du désert. Mon sous-sol s'est lavé de semailles illicites, mais un germe a crû, qui taira toujours une part de ses origines.
Et l'enfant consomme innocemment l'inceste originel, en pesant sur mes terminaisons nerveuses les plus ténues, les capillaires dangereux dont la moindre pression attise la chaleur irréversible...
La Colombine, 1977
votre commentaire -
Gémellité
Une moitié de moi est rigide
L'autre la touche sans comprendre
incrédule et terrifiée
Mémoire d'avant l'âge
Dans l'habitacle de ma mère
deux peut-être je vivions
chaleur, douceur, berceau
deux et un seul indivisible
noués à la même source de vie
deux pareils et autres
masculin et féminin, alpha et oméga
l'envers et l'endroit
tête en haut et tête en bas
bienheureuse complétude
pouls battant en écho
succion du désir de vivre
à l'écoute de la même marée rassurante
du sang maternel
Et puis
-amnésie de l'évènement-
violence, séisme, crime, accident,
qui le sait ?
soudain
mon toucher aigu d'enfant qui n'a pas encore ouvert les yeux
cette raideur contre moi
Qui est mort?
Moi ? L'autre ?
L'autre moi-même ?
L'horreur de me toucher, morte.
Je touche. Je ne suis plus touchée
La radio ne répond plus
La terreur
Ensuite
L'oubli.
Est restée la douleur d'une amputation
Mais parfois le contraire
je suis ajoutée
Ai-je ouvert la porte à cette âme chassée,
à cette âme éperdue ?
Ce serait pourquoi ce trop-plein
cette richesse
cette tension, cette pression,
ces déchirements.
Double.
Je dois enfouir une âme entière, ne la faire surgir qu'à petits coups.
Ma tête, abri trop étroit pour un passager clandestin.
Toi qui en cachette t'es réfugié en moi
invisible hypertrophie
sentir double
joie double
douleur monstrueuse
Et ne le dire sans effroi
Défendu
Mon frère jumeau.
votre commentaire -
BOITE VOCALE
La boite vocale me commandait :
« Appuyez sur ci, appuyez sur ça. »
Mais mon c as n’était pas prévu
Et elle ne pouvait rien inventer.
Quel soulagement quand j’entendis enfin la vraie voix de quelqu’un
Qui m’écoutait, me répondait !
Je lui supposais un visage rose et bien lavé
Un air propret de mère attentive et d’amie dévouée.
Je l’aurais embrassée.
On n’embrasse pas un être virtuel.
votre commentaire -
C'était beaucoup trop tôt pour commencer ma vie
Alors je la rêvai. Et encore aujourd'hui
Je rêve à ce qui fut, qui aurait pu, peut-être,
Et ne sera jamais. Il est trop tard pour être ! ?
« Mais non ! dit le docteur, qui donc a décidé
Que vous étiez finie ? »
Son sourire était franc, et je voudrais le croire.
Mais s’il faut contenter mon désir infini
Réaliser mon rêve, enfin, c’est tout le soir
Des dernières années, que je devrai, couchée,
Solitaire, enfermée, écrire, écrire, écrire !
Tout ce que j’ai capté, compris, thésaurisé,
Avec la peur que nul ne veuille n’en rien lire.
Je me suis interdit d’être assez égoïste
Pour prendre la lenteur dont j’aurais eu besoin,
D’oublier ma famille et de vivre en artiste
Focalisée sur l’œuvre au détriment des miens.
Vivre, écrire, voire, mais qu’écrire sans vivre ?
Je suis sûre à présent d’avoir fait le bon choix
Ou plutôt que quelqu’un m’ait guidée malgré moi.
Il faut beaucoup de temps, de larmes et de livres,
Avant d’oser parler au terrible inconnu
Qui court les librairies et choisit au feeling,
De lui donner à voir mon âme toute nue ,
Lui assis, chapeauté, moi debout sur le ring.
Victime ? Paresseuse ? Malade, ou encore lâche ?
J’attends toujours le jour où je me croirai prête
A me jeter à l’eau. De tous ceux qui m’attachent
De sournoise tendresse, o combien peu me fêtent
Pour mes fugues de mots. C’est tellement commode
Que je ne change pas, et que je sois malade
Que je laisse la place
A leurs façons de voir, à leurs façons de vivre.
Gentiment il m’enfonce en culpabilité
Celui qui fait sa vie et ne veut rien savoir
De ce que prévoyait cette enfant réfléchie
Que je suis demeurée, mais ligotée par quoi ?
Par quel secret, non-dit, mensonge ou même drame,
Suis-je non pas stérile, frigide, mais flamme
Mortelle, clandestine, et qui veut s’envoler ?
Dans la Bible j’ai lu : « Qui veut garder sa vie
La perdra sûrement. » J’ai compris qu’en perdant
Le chemin désiré, je faisais Dieu content.
Mais à présent, l’horreur se présente à mes yeux :
Si c’était le contraire ? Et ma vie protégée,
Au lieu de me tuer à dire pour les autres ?
Hélène Aribaut,
4/5 Mars 2004.
votre commentaire -
CAMP VOLANT
Le poids du sac nous obligeait à
courber vers la terre notre regard.
Et surgissaient alors quantité de fleurs petites et délicates,
que les cavaliers foulaient avec morgue.
Nous levions nos yeux vers
les sommets que nous convoitions.
Et de temps en temps nous retourner,
voir l’abrupt chemin parcouru
nous rendait courage.
Le dos nous faisait mal,
notre bouche était desséchée,
et nos pieds glissaient sur les éboulis.
Nous nous mettions à désirer violemment le soir
sur la montagne immobile.
A l’arrivée, il fallait encore planter nos tentes,
allumer du feu,
y cuire patiemment notre dîner.
Nous connaissions des chansons pour tous les gestes quotidiens.
Puis nous laissions le sommeil
nous inviter doucement sous les étoiles.
Je chante de vieux étés que le temps a polis.
Mais je sais aussi parler de celui-ci qui prend fin,
mettre des mots palpitants de vie
sur ici et maintenant.
Hélène Aribaut
Fuveau, le 21 Septembre 2002.
votre commentaire -
La morphine a capturé pour un temps la douleur, et me rend incertaine comme un verre d'eau dans une vieille main. L'est de mon jardin me berce dans ses verdures ponctuées de lauriers, de capucines et de roses. Là-haut un rossignol se grise d'un chant plus grand que lui. Le soleil allume de sequins dans l'amandier, et tisse les baves d'escargots. Un écureuil pique du nez sur le fût d'un pin. Entre les feuilles bougent les insectes. Et parfois, sur une fleur, s'en pose une autre frémissante.
Que pourrait être d’autre la prière du matin, que cette joie des yeux grands ouverts, que cette écoute déjà nostalgique, dans la buée précaire et tremblante de la vie ?
Je voudrais, comme ces écureuils enfants, jouer à des poursuites innocentes, me percher comme cette colombe sur la plus haute branche, ou sculpter le silence d’un chant voluptueux. J’ai fait cela. Mais il n’est plus temps pour moi peut-être. Ne me reste-t-il désormais qu’à dire des merveilles dont je ne suis déjà plus ?
L’air s’illumine et m’enveloppe de chaleur tendre. Des parfums voyageurs déposent sur moi leurs ambassades, si je ne puis bouger. Et j’entends mes propres sèves monter dans l’espérance.
Hélène ARIBAUT
17 Juillet 2000
votre commentaire -
Le désir
marée impérieuse d'un rêve embrasé qui pourtant,
de par ma volonté désespérée,
revient bredouille.
Etre belle, belle !
et me mettre devant lui pour capter son regard,
son coeur et son désir.
La séduction
un grand filet lancé et lancé indéfiniment
dans la quête désespérée
d'un seul poisson d'or.
Le désir rejeté me poursuit comme une ombre
Il interrompt le travail
en se plantant devant moi à l'improviste
Il se fait vent dans l'encolure de ma blouse
Il se fait main sur ma taille
et caresse volée à mon ventre
Il impatiente ma bouche d'un soif étrange
agace mes lèvres
emplit ma tête d'images suspendues
Je suis sa proie fuyant contre elle-même
qui souhaite se rendre et ne le veut pas.
Heure par heure je le transforme
en jouissance des yeux et des oreilles.
Le reste pleure et crie : pourquoi ? Pourquoi ?
17 Octobre 1994.
votre commentaire -
Funambule
Sur le fil aérien que la lumière occulte
Je marche doucement. Je regarde devant.
Mais mon poids devient lourd de tous mes pas d’avant.
Je ne respire plus pour calmer le tumulte
Qui me ferait tomber soudain d’un coup de vent.
Mes proches, dérangés, me répètent : consulte !
Mais à quoi servirait qu’un médecin m’ausculte,
M‘abreuve de conseils et de médicaments ?
Le vrai mal est ailleurs. Le discours pour le dire
N’a pas trouvé d’oreille encline à l’écouter,
Ni peut être entendu sans mal ni lâcheté.
Me voici atteignant l’extrême pauvreté
Où mon unique choix est à Dieu recourir
Afin qu’il me redonne la force d’en rire.
Hélène Aribaut
9 Septembre 2004
votre commentaire -
Mes mains ont toujours été plus vieilles que mon visage, trahissant l’âme ancienne, dénudée jusqu’à l’os. Elles écrivent dans l’hôpital repeint, face au couloir vide de mes souffrances. Les malades partis, les murs s’écaillent de compassion, luisent de misères entassées, au milieu des pas blancs de soignants affairés.
Je ne puis partager ces images qu’avec les quelques uns à qui je les impose, et qui ne m’accompagnent pas. Fussent-ils là je serais seule, dans l’inquiète perception des choses, le tremblement du cœur et du sang.
Misère couchée, gloire debout, thérapeutes, n’oubliez pas que la même dignité qui brille sur vos fronts levés et compétents, habite aussi les gisants à votre merci devant vous.
Hélène Aribaut
15/18 Juillet 1998.
votre commentaire -
-
Van Gogh. La nuit étoilée
Pour voir une animation interactive de ce tableau, c'est ici :
http://peacheneutral.blogspot.fr/2012/02/la-nuit-etoilee-de-van-gogh-animee.html
votre commentaire -